Par Hamza ESSADDAM*
Ces dernières années, les écrits sur l’histoire de la pédiatrie se sont multipliés. S’ils s’accordent tous sur son origine arabo-islamique, ils suscitent néanmoins deux questions ; la première concerne la paternité du premier traité écrit de pédiatrie entre Errazi et Ibn al-Jazzar ? La seconde, c’est de comprendre le retard, de plusieurs siècles, mis par l’Occident pour intégrer cette avancée médicale ?
Sur l’origine baghdadie ou kairouanaise, les avis diffèrent. Certains l’attribuent à Baghdad et à Errazi au IXe siècle, en occultant Kairouan. D’autres parlent de deux traités baghdadi et kairouanais de pédiatrie. Mais butent sur l’antériorité de l’un par rapport à l’autre. L’analyse des faits historiques dont nous disposons aujourd’hui montre :
– Que des deux traités nous ne possédons que celui d’Ibn al-Jazzar, alors que celui d’Errazi est perdu, et ceux qui en parlent aujourd’hui partent des traductions, n’ayant jamais eu accès au texte original.
– Que le livre d’Ibn al-Jazzar est jugé plus complet que celui d’Errazi, par ceux qui avaient comparé le livre d’Ibn al-Jazzar aux traductions d’Errazi. Cette différence est-elle la conséquence d’une mauvaise traduction ?
– Qu’Ibn al-Jazzar ne citait pas Errazi dans sa bibliographie, selon Dr Ben Miled, par méconnaissance du livre de ce dernier.
– Mais d’autres historiens s’interrogent pour savoir comment nos deux auteurs avaient eu accès au livre du carthaginois Moschion, connu sous le nom de « Traité des femmes de Soranos », Errazi en reproduisant certains chapitres et Ibn al-Jazzar en le citant. Alors que ce livre ne semble pas avoir été traduit en arabe. Pour Ibn al-Jazzar, cet accès peut avoir été facilité par la proximité entre Carthage et Kairouan et surtout par la maîtrise du latin par son père et son oncle, tous deux médecins.
Tous ces arguments, et surtout le dernier, font pencher l’attribution de cette paternité du premier traité de pédiatrie dans l’histoire de la médecine à Ibn al-Jazzar en attendant de disposer du livre original d’Errazi et non des traductions.
Quant aux causes du retard (plusieurs siècles) mis par la médecine occidentale pour adopter la pédiatrie comme une discipline autonome, relèvent-elles d’une méconnaissance de la médecine arabe par l’Occident? Ou d’un décalage socioculturel entre l’Orient et l’Occident ? En France, par exemple, la pédiatrie n’a été officiellement reconnue comme une spécialité médicale que dans la deuxième partie du XIXe siècle, soit plus de dix siècles après sa naissance à Kairouan.
Ce qui est su aujourd’hui, c’est qu’en Occident et au Moyen Age, Ibn al-Jazzar était connu à Salerne à partir de ses livres ramenés par le Carthaginois Constantin l’Africain, mais aussi à Paris où il figurait au programme de l’enseignement de la Sorbonne, avec d’autres auteurs kairouannais.
Par ailleurs, l’Occident, et particulièrement la France, via la Tunisie, connaissait Errazi, comme le prouve une ambassade envoyée à Tunis par Charles François d’Anjou, frère de Saint Louis, pour copier le livre «Continens» d’Errazi de la bibliothèque de Tunis. Donc, la cause de ce retard ne peut pas être la méconnaissance de nos auteurs, qui étaient étudiés dans les universités occidentales.
Cette ignorance serait-elle alors la conséquence d’une approche différente de l’enfant entre l’Orient et l’Occident, comme semble le suggérer Jean Jacques Baudon, quand il écrit dans la ‘‘Presse Médicale’’ en 2017 : «La pédiatrie a débuté dans des conditions sociales difficiles à imaginer de nos jours. L’enfant au début du XIXe siècle était considéré comme négligeable. Le taux de mortalité était très important, aggravé par le travail des enfants dès l’âge de 6 ans dans l’industrie textile».
H.E.
Pr émérite-Université Tunis al-Manar